Invalide, de l’autre côté du miroir Le Temps, 01.12.2009, von Catheri

Invalide, de l’autre côté du miroir
Le Temps, 01.12.2009, von Catherine CossyMarkus Schneider écrivait pour la Weltwoche. Sur les bienfaits de la concurrence fiscale. Ou sur l’augmentation inquiétante du nombre de rentiers AI. Ce texte, datant d’avril 2003, inspire le conseiller fédéral Christoph Blocher qui crée le terme de «Scheininvaliden», des pseudo-invalides. Aujourd’hui, le journaliste et économiste de formation «travaille» – c’est lui qui met les guillemets – à l’hebdomadaire Schweizer Familie. Il reçoit depuis quelques mois un salaire symbolique. Et des indemnités journalières versées par l’assurance invalidité. «Je suis», dit-il de sa voix posée et retenue, «l’exemple vivant du principe prôné par l’AI que la réadaptation passe avant la rente».Car le 13 août 2007, la vie de Markus Schneider bascule. Après une opération à cœur ouvert qui s’est déroulée normalement, il subit une attaque cérébrale violente. Puis, lorsque le pire semble passé après une trépanation d’urgence, une crise d’épilepsie. Il se retrouve plongé dans un coma artificiel pendant cinq semaines. Commence alors un long parcours de plus d’une année entre unités de soins intensifs et cliniques de réhabilitation.Markus Schneider est ramené à la vie par des équipes de professionnels qui ne font que leur métier. Lui qui, pour la Weltwoche, a toujours aimé mettre un prix sur les prestations de l’Etat social, calcule aussi ce qu’il a coûté à l’assurance maladie: 109 400 francs pour la seule année 2007. Et combien il a payé de sa poche: 1000 francs, soit la franchise minimale de 300 francs, plus la participation maximale aux coûts de 700 francs. «Je n’ai pas mauvaise conscience. C’est pour cela que l’on a une assurance maladie obligatoire. J’aurais même été prêt à payer plus. Je suis favorable à des franchises plus élevées, mais proportionnelles au salaire.»Revenu à la maison, le journaliste réapprend les gestes de tous les jours. Ses fils se moquent gentiment de lui quand il ne beurre que le côté droit de sa tartine. Séquelle du traumatisme du cerveau, il souffre de ce que les neurologues appellent une négligence spatiale. Il a de la peine à percevoir l’espace sur sa gauche. «Les gens qui me connaissent l’interprètent de manière politique. Tout ce qui se passe à gauche m’a toujours échappé», écrit-il avec humour dans le livre qui raconte ses expériences, Grimassenherz, paru dans la maison d’édition qu’il a fondée six mois avant son opération avec deux associés. Le titre, Un cœur qui fait des grimaces, est à prendre au sens propre, c’est ce qu’il aperçoit en sortant du coma.

L’hémorragie du cerveau n’a pas touché le centre du langage. «Rédiger un texte ne me pose pas trop de problèmes. J’ai besoin de plus de temps, mais je peux écrire comme avant. Ce que je ne peux pas, c’est rassembler et trier les informations. J’ai de la peine à me documenter, distinguer les opinions. Je viens de terminer un article sur un jeu assez compliqué sur le climat. Avant, cela aurait été l’affaire d’un ou deux jours. J’y suis arrivé, mais il m’a fallu plus de deux mois.»

Markus Schneider, qui a deux contrats fixes, avec la Weltwoche et Bilanz, bénéficie d’abord de l’assurance perte de gain de ses employeurs, qui couvre 80% de son salaire. «Après une année, ils m’ont dit que je devais absolument m’annoncer à l’AI.» En décembre 2008, il est d’abord envoyé pour trois mois au centre d’évaluation professionnelle de Lucerne, spécialisé dans la prise en charge de personnes souffrant de lésions au cerveau. Il faut évaluer quelles sont ses chances de revenir sur le marché du travail. «J’ai dû écrire des textes, faire des calculs, c’était un peu comme à l’école. J’ai même dû timbrer. Mais l’encadrement était très professionnel.» Il a pour tâche de se trouver un stage et, grâce à ses contacts dans le milieu, commence en mars à la Schweizer Familie. Au début, il ne peut que mettre des légendes et écrire quelques titres.

Depuis presque une année, c’est l’AI qui assume la perte de gain, pour un montant légèrement inférieur à 80% de l’ancien salaire. Le journaliste, qui a toujours aimé débroussailler les chiffres, a gardé la main: «Actuellement, l’AI me paie des indemnités journalières qui sont plus chères qu’une rente. Ils perdent de l’argent avec moi, car j’avais un très bon salaire. Ce serait plus avantageux s’ils me déclaraient tout de suite invalide à 100%, car le montant de la rente est plafonné. Mais j’ai un bon conseiller, et il me dit qu’il investit volontiers dans mon cas tant qu’il a le sentiment que je progresse.»

Le but de Markus Schneider, 49 ans, est de ne pas être invalide à plein temps et de recevoir trois quarts de rente plutôt qu’une rente entière. Il doit pour cela arriver à gagner par lui-même un quart de son salaire antérieur. «Cela va être difficile», dit-il sobrement. La décision tombera au printemps.

«Je suis heureux que l’AI ait été là. Tous ont agi de manière très professionnelle avec moi.» Le journaliste avoue qu’il n’aurait probablement pas accepté la récente révision de l’AI sans ses déboires de santé. «Mais je n’ai pas retourné ma veste. J’ai relu une partie de mes articles, je suis encore d’accord avec tout ce que j’ai écrit. Je n’ai pas de peine avec l’étiquette de néolibéral.»

Markus Schneider a quand même décidé de quitter la Weltwoche. «J’ai résilié mon contrat à la fin de l’année passée. J’étais fier de prendre cette décision alors que j’étais incapable de travailler à 100%. Cela aurait été difficile pour moi de reprendre le travail là-bas. Je n’aurais pas pu écrire une histoire sur des pseudo-invalides, car si j’étais capable de le faire, c’est que j’en serais un…»

Grimassenherz, Markus Schneider, Echtzeitverlag.

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