L’Hebdo, 24.02.2005, von Michel GuillaumeLe parti socialiste va-t-il enfin se réveiller? Trop occupé à se profiler comme le seul parti politique capable de résister à l’UDC, il a perdu presque toute force de proposition ces dernières années. Trois jours avant qu’il n’entame une réflexion sur un nouveau programme économique, deux de ses fers de lance bernois, Simonetta Sommaruga et Rudolf Strahm, tentent de le sortir de sa léthargie. Ils sortent un livre1 dont certaines propositions promettent de décoiffer la gauche conservatrice.«Il ne faut pas dramatiser. La Suisse n’est pas près de faire faillite, mais elle a un besoin impérieux de réformes», soulignent les deux auteurs. N’éludant aucun problème comme les abus en matière de droit d’asile ou d’aide sociale, ils parlent toujours un langage clair et réclament des priorités, à l’exemple d’une augmentation de 30% des dépenses d’éducation. Mais c’est en matière fiscale qu’ils surprennent le plus: ils proposent de faire passer au second plan le principe de la progressivité de l’impôt pour réfléchir sérieusement «en direction d’une flat tax».
Sous ce barbarisme anglo-saxon se cache l’idée d’un taux d’impôt unique lancée dans les années Reagan aux Etats-Unis, qui fait actuellement fureur dans les pays de l’ancien bloc soviétique, en Russie et en Slovaquie notamment. En Suisse, c’est le journaliste Markus Schneider, auteur d’un nouveau livre blanc en 2004, qui a lancé l’idée de ce taux unique qu’il souhaiterait fixer à 18% du revenu brut des contribuables. Voici quelques années encore, la gauche l’aurait d’emblée cloué au pilori. Mais, après le coup de semonce de l’ancien président Peter Bodenmann au Congrès de Brigue, qui a appelé ses camarades à des réformes courageuses, les tabous tombent et les temps changent au PS. Le 14 décembre dernier, la commission des finances du parti a même invité Markus Schneider à Berne.
Baisses d’impôt de 20% «Cette idée est provocatrice, mais il ne faut pas la condamner avant de l’avoir discutée, même si elle vient du mauvais bord politique», écrivent les deux politiciens bernois. Simonetta Sommaruga et Rudolf Strahm ne se lancent donc pas dans un plaidoyer sans réserve. Ils savent que, dans un pays aussi fédéraliste que la Suisse, certains obstacles seraient impossibles à surmonter. Mais ils indiquent clairement la voie à suivre: «La flat tax doit constituer un aiguillon pour parvenir à un système fiscal sensiblement simplifié.» Reprenant une étude du professeur bâlois René Frey, ils notent: «Même en admettant que le taux moyen de fiscalité grimpe légèrement, chaque contribuable pourrait voir ses impôts baisser de 20 % si l’Etat parvenait à éviter toutes les combines utilisées avec le système actuel des déductions.»
Car, de gauche à droite de l’échiquier politique, tout le monde en convient: l’actuel système fiscal, avec son labyrinthe de déductions possibles (jusqu’à 50 dans certains cantons!) est trop compliqué. Mais faut-il le sacrifier au point d’abandonner le principe équitable de la progressivité de l’impôt? Justement, ce principe là n’est pas aussi équitable que cela. A Genève, une étude a montré que l’Etat perdait 60% de ses recettes fiscales par le biais des déductions.
Et ce ne sont pas les plus pauvres qui en profitent, bien au contraire. «La gauche a entamé un processus de réflexion. Elle s’est aperçue que la progressivité de l’impôt, avec toutes les déductions qu’elle autorisait, profitait surtout aux riches», remarque Markus Schneider. Ce n’est pas le professeur Bernard Dafflon, titulaire de la chaire de finances publiques à l’Université de Fribourg, qui le contredira. Il a proposé l’an dernier de faire de l’introduction de la flat tax le pilier d’une nouvelle politique en faveur de la famille (L’Hebdo du 20 mai 2004). Et si, en fin de compte, c’était la flat tax qui s’avérait la meilleure garante de la redistribution des richesses?
Ce n’est pas le moindre des paradoxes: Simonetta Sommaruga et Rudolf Strahm relancent le débat sur la flat tax au moment où la droite semblait le lâcher. En été dernier, sous l’impulsion du ministre des Finances Hans-Rudolf Merz, l’administration fiscale s’était livrée à une première simulation – controversée – dont le verdict fut consternant: c’est la classe moyenne qui souffrirait le plus du nouveau régime, alors que c’est précisément elle qu’on souhaite soulager.
Bien sûr, Simonetta Sommaruga et Rudolf Strahm ne sont pas représentatifs du PS qui, depuis l’arrivée à sa tête de Hansjürg Fehr, s’est repositionné plus à gauche. On les juge trop réformistes, trop enclins au compromis dans un contexte de globalisation de l’économie où on préférerait les voir radicaliser leur discours pour préserver les acquis sociaux. Mais leur notoriété et leur crédibilité est incontestable. La première a réussi l’exploit historique de se faire élire au Conseil des Etats dans un canton pourtant marqué à droite et connaissant le système majoritaire. Quant à Rudolf Strahm, nouveau Monsieur Prix, il s’est fait le pourfendeur des prix cartellisés ou administrés.
Dans leur livre, les deux Bernois évitent toute attaque frontale envers les syndicats, qui pèsent de tout leur poids sur la politique peu créative du PS. Ils multiplient les oppositions de principe: non à l’ouverture élargie des magasins le dimanche dans les grandes gares, non à la libéralisation du marché de l’électricité, non à tout compromis sur l’AVS. Une litanie dont on sent qu’elle finit par irriter grandement les deux réformateurs socialistes. Mais c’est le seul point où ceux-ci n’osent pas énoncer le problème: avant de faire avancer la Suisse, le PS devra à l’avenir avoir le courage de se démarquer plus souvent des syndicats, surtout lorsque ceux-ci occultent certaines réalités. Dans le débat sur l’ouverture des magasins le dimanche, trois femmes, Chantal Galladé, Pascale Bruderer et Evi Allemann, toutes jeunes et urbaines, ont déjà sonné la dissidence. «Il ne s’agit pas de s’opposer à des changements inéluctables, mais de bien les accompagner pour les rendre acceptables». |