La révolution suisse, si elle vient, viendra de la société civile Le Matin Dimanche, 18.01.2004

La révolution suisse, si elle vient, viendra de la société civile
Le Matin Dimanche, 18.01.2004, von Claude MonnierLe Matin Dimanche; 18.01.2004; page 15
Opinions
Que n’a-t-on entendu, depuis le 10 décembre dernier, sur la révolution
en passe de ravager la Suisse ! Or, pour l’heure, à la mi-janvier,
Christoph Blocher et Hans-Rudolph Merz apparaissent plutôt comme des
ministres modérés. Se pourrait-il que nous ayons cru voir une révolution
là où seules vont être dérangées nos habitudes ?Ce qui a changé, en revanche, et pas depuis un mois, s’il vous plaît, c’est
la dégradation de l’environnement économique mondial. Avec, pour effet,
que nos entreprises vivent de la main à la bouche. Que les salariés se
demandent s’ils auront encore du travail dans six mois. Que le filet social,
noué jadis pour garantir aux gens de ce pays que jamais ils ne
tomberaient dans la dèche, paraît aujourd’hui singulièrement fragilisé.

Si l’on recule de quelques pas pour voir le tableau d’ensemble, qu’est-ce
que cela donne ? Le lac des Quatre-Cantons déchaîné par bise noire,
portant sur ses flots un esquif où nous avons pris place, piloté par six
gentlemen aimables et une gente dame, qui devisent en buvant le thé.
Or, en ces circonstances troublées, nous aurions plutôt besoin de rudes
mariniers.

A défaut, nos conseillers fédéraux devraient au moins, semble-t-il, poser
aujourd’hui les problèmes à plat, sans a priori idéologiques. Pascal
Couchepin s’y est essayé à propos de l’âge de l’AVS, mais si brutalement
qu’il l’a payé cher. D’où je déduis que, sauf exception, les mises à plat ne
pourront venir ni des conseillers fédéraux, trop occupés à gérer le pays
et ses compromis, ni des partis, victimes d’une impuissance similaire.

Les idées radicales, qui mettront en perspective les réalités nouvelles, ne
pourront donc être le fait, je crois, que de la société civile: de groupes de
réflexion, ou alors d’individus isolés mais brillants, peu importe qu’ils
soient profs, représentants de commerce, avocats ou journalistes. Car
eux peuvent prendre le risque de dire des choses fortes, des choses
révolutionnaires, des choses qui feront discuter, penser, supputer, sans
mettre, toutes affaires cessantes, le pays entier à feu et à sang. Les
citoyens se diront en effet: « Ce sont des théories, ce sont des idées,
elles n’engagent à rien. » Grâce à quoi ils accepteront plus facilement
d’en examiner le pour et le contre.

De telles idées « civiles » commencent peu à peu à sortir. Trois
exemples récents m’ont frappé.

D’abord le « Livre blanc 2004 » de mon confrère Markus Schneider (voir
24 Heures et la Tribune de Genève du 9 janvier), qui y propose
d’introduire en Suisse la flat tax dont Ronald Regan rêvait pour les
Etats-Unis. L’idée ? Simplifier radicalement l’imposition, qui est chez nous
d’un byzantinisme dément. Comment ? En prélevant linéairement 18%
sur tous les revenus, chaque individu recevant cependant un « bon
d’impôt » de 5000 francs, à déduire de son bordereau, grâce à quoi les
moins bien lotis seraient exonérés, ou recevraient même une petite
somme du fisc. Et, en abolissant l’impôt annuel sur la fortune, au profit
d’un impôt unique de succession.

Thomas von Ungern-Sternberg ensuite, le baron balte devenu prof
d’économie à l’Université de Lausanne, qui ose dire, sans doute parce
qu’il n’est pas d’ici, des choses d’une radicalité rafraîchissante. Entre
autres ceci, dans « Le Matin dimanche » du 11 janvier: « Tous les quatre
ans, on devrait réduire de 10% le volume des textes légaux. Cela
rendrait la société suisse beaucoup plus vivante. (…) Au lieu de ça, on a
ajouté 500 pages [ de textes de loi ] en quatre ans. »

Cette idée, enfin, relancée par la Tribune de Genève du 13 janvier, de
transports publics gratuits dans la ville du bout du lac.

Des idées un peu folles ? Peut-être. Pourquoi ne pas y réfléchir
cependant ? La simplification d’un système hautement emberlificoté,
chaque fois qu’elle est possible, permet, elle aussi, des économies
substantielles.

Ce n’est là qu’un échantillon. Mais il indique bien que le grand débat va
enfin pouvoir commencer sur ce que nous voulons vraiment faire de la
Suisse en ces temps de tourmente planétaire, et par quels moyens
originaux nous prétendons y parvenir.