Dans la jungle fiscale L’Hebdo, 05.02.2004

Dans la jungle fiscale
L’Hebdo, 05.02.2004, von Alain Jeannetéditorial
Votre déclaration d’impôt atterrit ces jours dans votre boîte aux lettres.
Et avec elle la perspective d’horribles migraines, voire d’accès de
révolte pure. Puisse notre traditionnel guide de survie vous alléger la
tâche, vous donner un zeste de détachement zen au moment
d’attaquer le formulaire honni. Ou vous aider à poser les bonnes
questions à votre fiduciaire, si vous choisissez de vous faire assister
(lire le dossier de Geneviève Brunet à partir de la page 39).Mais le système helvétique n’est pas seulement astreignant pour les
contribuables. Il est aussi complètement opaque. Personne ne sait
plus aujourd’hui s’il permet encore une véritable redistribution des
revenus. Sur le papier, il paraît plutôt équitable. Dans la réalité, il en va
tout autrement. Les plus aisés peuvent allègrement pratiquer le
tourisme fiscal. Les multiples déductions possibles permettent aux plus
habiles de réduire l’impôt à néant. Si bien que de riches industriels ont
réussi, comme par exemple Hortense Anda-Bührle, l’actionnaire
principale du groupe Unaxis, à déclarer zéro revenu. On ne s’étonnera
donc pas que seuls 8% des Suisses et des Suissesses, selon une
enquête du Fonds national citée par la SonntagsZeitung, tiennent le
modèle helvétique pour juste.

«Le système est si perverti, expliquait dans une interview récente
Simonetta Sommaruga, l’un des esprits libres et atypiques du Parti
socialiste, qu’il ne suffit pas de dire non aux baisses d’impôts
proposées par l’UDC et les radicaux. Il faudrait envisager le problème
sous un tout autre angle, demander une réforme d’envergure et se
chercher des alliés au Parlement pour la soutenir.» (Lire L’Hebdo du
22 janvier).

D’accord, mais quel type de changements? Et comment démonter une
si fine mécanique? On parle beaucoup ces jours en Suisse
alémanique de la flat tax, c’est-à-dire d’un taux unique, qui
remplacerait l’imposition progressive. Dans la foulée, toutes formes de
déductions seraient abolies. Oubliée la soustraction des intérêts d’une
dette hypothécaire. A la trappe la prise en compte des frais de
rénovation de son logement… Le premier avantage serait de rendre le
système d’une simplicité biblique et d’un confort total. Parce qu’il serait
transparent. Et parce que la retenue se ferait à la source.

Auteur d’un ouvrage intitulé Weissbuch 2004 (en français: Livre Blanc
2004), le journaliste économique Markus Schneider a calculé que le
taux unique devrait se monter à 18% pour parvenir au niveau actuel
des rentrées fiscales. Qui en profiterait, selon lui? Les riches, bien
entendu. Mais aussi les milieux les plus défavorisés. Et la classe
moyenne, dont le niveau de vie n’a cessé de s’éroder pendant les
quinze dernières années. La solution paraît presque miraculeuse.

Curieusement, avant même qu’elles n’aient été examinées dans le
détail, ces propositions provoquent un rejet épidermique au sein du
mainstream de la gauche. Au nom d’une défense de principe de la
progressivité de l’impôt, on les qualifie d’attaque néo-libérale sur les
fonctions redistributives de l’Etat. A droite, les réactions ne sont pas
beaucoup plus enthousiastes – sous prétexte que le fédéralisme rend
ce modèle difficile à appliquer et qu’il impliquerait, prétendument,
l’abandon de la concurrence fiscale entre cantons, entre communes.
Les raisons de cette réticence sont peut-être plus prosaïques: ceux qui
profitent du système actuel, les champions de l’acrobatie et des
déductions d’impôts, n’ont aucun intérêt à plus de transparence.

En matière fiscale aussi, le moment est venu de partir à la pêche aux
idées vraiment nouvelles, de s’interroger sur les remèdes les plus
efficaces pour soigner l’Etat social sans tuer le malade. Et avant de
déterminer ce qui est équitable et ce qui ne l’est pas, commençons par
tenter d’y voir plus clair dans la jungle helvétique. |

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