L’impôt à taux unique: panacée ou poison? Le Temps, 12.08.2004, von Bernard Wuthrich

L’impôt à taux unique: panacée ou poison?
Le Temps, 12.08.2004, von Bernard WuthrichFlat tax: ça résonne comme un claquement de fouet et ça paraît simple parce que c’est court. La flat tax, l’«impôt plat», est la panacée brandie par certains observateurs, comme le journaliste Markus Schneider, auteur d’un «Livre blanc 2004» et d’un «manifeste» publié dans le magazine Bilanz, le conseiller national UDC Hans Kaufmann ou encore le professeur Bernard Dafflon, titulaire de la chaire de finances publiques à l’Université de Fribourg (lire interview). Les raisons qui les poussent à défendre cette solution pour réformer le système fiscal ne sont cependant pas les mêmes.Tous invoquent la simplicité et la transparence de cet impôt, qui consiste en un taux d’imposition unique pour tous les contribuables. Le système fiscal est aujourd’hui obscurci par la broussaille de déductions que les citoyens peuvent porter sur leur déclaration. On en recense jusqu’à quarante par canton. Elles ont pour but de compenser les différences de charges entre les catégories de contribuables (célibataires, couples mariés, familles monoparentales), d’alléger la facture des personnes endettées (comme les propriétaires), d’atténuer la forte progressivité de l’impôt fédéral direct (IFD), d’assurer une certaine redistribution du haut vers le bas, etc.

La nécessité de simplifier le système n’est guère contestée. Hans-Rudolf Merz y travaille. «Nous avons reçu mandat d’étudier divers modèles permettant d’atteindre cet objectif», confirme Lukas Schneider, porte-parole de l’Administration fédérale des contributions (AFC). La flat tax est l’un des modèles examinés, au même titre que l’impôt négatif pour les bas revenus ou encore le rabais d’impôt (les déductions sociales ne seraient plus retranchées du revenu déclaré mais du montant d’impôt à payer).

Hans Kaufmann est un adepte de la flat tax. Si l’on introduisait cet impôt, l’effet de redistribution lié aux déductions fiscales disparaîtrait. L’Etat ou les cantons pourraient moduler leurs dépenses de manière à opérer une compensation et devraient dans tous les cas mieux les maîtriser. «L’idée d’un impôt simple est en soi séduisante. Mais la flat tax ne me paraît pas réaliste dans un pays qui connaît trois niveaux d’impôts (ndlr: fédéral, cantonal et communal). Je suis persuadé qu’on devrait inventer une multitude de correctifs. Le système ne serait donc pas plus simple», analyse de son côté Urs Schwaller, conseiller aux Etats PDC et ancien chef des Finances fribourgeoises.

Les radicaux ont eux aussi leurs doutes. Dans leur programme politique Avenir radical, un chapitre est consacré à la simplification de la «jungle fiscale». Ce document parle d’imposition à la source, mais pas de flat tax. «Nous n’avons pas retenu cette idée, car elle laisse trop de questions ouvertes, en relation avec la souveraineté cantonale et les mécanismes de redistribution», explique le conseiller national Ruedi Noser. Quant au PS, il tient à l’impôt fédéral direct en raison de sa forte progressivité mais reconnaît la nécessité de passer au scanner les nombreuses déductions afin d’en vérifier l’efficacité et de savoir à qui elles profitent le plus. C’est le sens d’une interpellation déposée par Simonetta Sommaruga.

De son côté, l’Administration fédérale des contributions a déjà effectué une première simulation (voir tableau). Partant du principe que les impôts fédéraux, cantonaux et communaux rapportent environ 40 milliards par an, elle a voulu savoir à quel taux il faudrait fixer la flat tax pour atteindre le même volume. «La réponse se situe entre 22 et 24%», lâche Lukas Schneider. Précision importante: cette estimation postule que l’impôt est calculé après déduction des cotisations sociales et qu’une déduction forfaitaire de 20 000 par contribuable et de 5000 francs par enfant est maintenue. Avec un tel impôt, les personnes à très bas revenu et celles qui gagnent plus de 200 000 francs verraient leur charge fiscale baisser, alors que les autres la verraient prendre l’ascenseur. Jusqu’à 47% dans certains cas!

«On pénaliserait encore plus la classe moyenne alors que c’est elle qu’on avait voulu décharger avec le paquet fiscal rejeté en mai. Une telle solution est inadmissible. Cela confirme qu’il faudrait introduire de nombreux correctifs», réagit Urs Schwaller. Ces calculs ne désarçonnent pourtant pas Hans Kaufmann. «Cette seule simulation est insuffisante, martèle-t-il. Les cantons pourraient appliquer un taux différent. Il faut creuser cette idée.»

«Le système actuel n’est pas aussi équitable qu’on le dit»

Interview d’un partisan de la flat tax, le professeur Bernard Dafflon, de l’Université de Fribourg.

Propos recueillis par Bernard Wuthrich
Le Temps: Quels seraient les avantages de la flat tax?

Bernard Dafflon: J’en vois trois. Premièrement, ce serait une simplification pour l’administration et pour les contribuables. On pourrait abandonner le fatras compliqué et peu transparent des déductions. Deuxièmement, un impôt proportionnel serait neutre et ne permettrait plus de chercher à optimiser sa déclaration d’impôts. Troisièmement, le mécanisme de redistribution lié à la progressivité de l’impôt ne fonctionne pas aussi bien qu’on le dit.

– Que reprochez-vous au système de déductions?

– Il est opaque. On a un système différent dans chaque canton plus un autre sur le plan fédéral. Et comme le démontre une enquête menée à Genève, la capacité de profiter des déductions n’est pas identique d’un contribuable à l’autre. A Genève, le rendement fiscal s’élève à 2,19 milliards (chiffre 1997), les déductions représentent 1,4 milliard et équivalent à 63%, d’impôts «abandonnés». Cela signifie que, sur un total de 12,5 milliards de revenus imposables, 8,2 milliards ne sont pas imposés. Et l’étude ne permet pas d’établir que ce mécanisme ait véritablement un effet redistributif.

– Mais la flat tax n’a pas non plus de fonction redistributive.

– Elle l’a si on la couple à la politique familiale, ce qui me semble essentiel. L’Etat et les cantons devraient commencer par fixer le montant qu’ils veulent redistribuer pour leur politique familiale. Ils définiraient ensuite le taux de l’impôt en fonction de ce montant. La flat tax ne peut pas fonctionner sans cela. Sur ce point, mon idée se différencie de celle de l’UDC, dont l’objectif est d’inciter l’Etat à diminuer ses dépenses.

– La flat tax est-elle applicable dans un pays où la fiscalité est répartie sur trois niveaux?

– Oui, car on ne fait que définir les revenus soumis à l’impôt proportionnel. Les cantons restent libres de fixer leur taux d’impôt en fonction de leurs besoins budgétaires. S’ils veulent mener une politique redistributive plus généreuse, libre à eux d’opter pour un taux plus élevé.

– La simulation de l’AFC montre que la flat tax pénaliserait la classe moyenne. N’est-ce pas un obstacle rédhibitoire?

– Cette simulation m’a surpris. Elle part de l’idée que le même taux de 22 à 24% est appliqué à tous les niveaux. Ce n’est pas réaliste, car je suis persuadé que les cantons fixeraient des taux différents. Mais je n’ai pas fait de calculs précis à ce sujet. Ce qui me paraît important, c’est de souligner que le système actuel de l’impôt progressif et des déductions n’est pas aussi équitable qu’on le prétend. Il est donc nécessaire de réfléchir à d’autres solutions.

L’arme fiscale des pays émergents et de l’ancien bloc soviétique

L’impôt à taux unique est apparu pour la première fois à Hongkong il y a quarante ans. Aujourd’hui, il tente jusqu’à l’Occident.

Pierre Veya
La flat tax, c’est comme le new public management: il y a ses fans et ses adversaires. Aux Etats-Unis, le débat fait rage depuis une dizaine d’années mais sans avoir pu percer. Il a été lancé par le milliardaire Steve Forbes qui en fit son cheval de bataille dans la campagne présidentielle de 1996. Si la flat tax fut à l’origine une idée de droite, c’est le gouverneur démocrate de Californie Jerry Brown qui, en 1992, lui donna un statut de respectabilité à gauche.

Aujourd’hui, le débat est quelque peu retombé. Les candidats à l’élection présidentielle ne proposent plus la flat tax mais parlent de simplifier le régime fiscal qui, comme en Suisse, est devenu si complexe qu’il n’est plus maîtrisé que par de puissants lobbies qui ont l’art de pratiquer «l’optimisation fiscale». Dans les faits, cet impôt ne s’est réellement imposé que dans les pays émergents (Chine, Inde, Hongkong, Singapour) ou dans l’ancien bloc soviétique (pays Baltes, Slovaquie, République tchèque, Russie et Ukraine) et tout dernièrement en… Irak, avec des taux qui varient entre 12 et 24% selon les cas. Dans tous ces pays, il a été appliqué par défaut d’un système fiscal performant, bien plus que pour ses avantages économiques supposés. En gros, il a l’avantage de la simplicité absolue, tout en garantissant une croissance régulière des impôts prélevés quasiment à la source et sans une armada de fonctionnaires.

Historiquement, c’est Hongkong qui fut le premier Etat, il y a quarante ans, à introduire une flat tax de 15%, mais avec cette nuance: le contribuable peut choisir le taux de 15% ou une variante comportant un taux progressif et une série de déductions. Dans les faits, il semble que le taux forfaitaire soit très largement majoritaire. Cette expérience est le modèle préconisé par le think tank ultraconservateur américain, le Cato Institute, partisan acharné de l’impôt à taux unique mais «convaincu» que son introduction exclusive se heurterait à la toute- puissance des lobbies des assurances, des banques qui font de «l’optimisation fiscale une industrie très lucrative».

Sur le plan macro-économique, les avantages de la flat tax sont évidents dans les pays qui l’ont tenté. Ainsi, la Russie qui l’a imposée en 2001 (taux de 13%), a vu ses impôts augmenter de 21 et 28% dans les deux années qui ont suivi son adoption. C’est un excellent moyen d’éviter l’évasion fiscale qui devient très sensible dès que les taxes dépassent les 40% du revenu et un bon moyen d’assurer à l’Etat des revenus stables (la masse fiscale perçue suit directement l’augmentation des revenus réels). La flat tax crée un cercle vertueux sur le plan économique: les riches ne sont plus dissuadés de s’enrichir et les plus pauvres ne risquent pas de subir une taxation plus forte chaque fois qu’ils grimpent dans l’échelle sociale.

Pour la classe moyenne, les avantages sont moins évidents. Si la flat tax est évidemment un instrument pour dissuader l’Etat de grossir plus vite que les revenus de ses contribuables, elle se double généralement d’un impôt de consommation (TVA). Afin de maintenir un système de répartition de la richesse, ses partisans préconisent d’introduire le principe de l’impôt négatif (un revenu est accordé à tout contribuable dont les moyens de subsistance sont inférieurs au niveau à partir duquel est perçu l’impôt). C’est clairement un mécanisme qui appartient aux tenants de l’économie de l’offre (favoriser la création de richesses) par opposition aux partisans d’un Etat redistributeur qui arrose souvent à l’aveugle.

On aurait toutefois tort de croire que la flat tax restera l’apanage des pays en voie de développement. Le gouverneur de Californie, Arnold Schwarzenegger, dit y travailler, en s’inspirant de l’Irlande, pays qui a abaissé son taux fiscal maximum de 35% en 1999 à 22% en 2001 et de 40 à 24% pour les impôts prélevés sur les sociétés, avec le succès que l’on sait. Ce n’est pas une flat tax à proprement parler mais cela y ressemble bougrement!